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Les portes s’ouvrent vers l’extérieur, les bruits de la rue s’engouffrent par delà le mur. C’est la liberté qui s’offre à Frédéric.

 

“Quand tu sors déjà t’arrives devant la porte, tu te dis bon voilà je vais sortir, ça va me faire bizarre. Quand t’arrives devant tu prends l’air frais, c’est pas pareil, on va dire que c’est pas le même air.”

 

Cette sensation, Frédéric, 25 ans, la vit pour la deuxième fois en novembre 2016. Ce sentiment lorsqu’il passe la porte du centre de détention d’Écrouves, il ne peut pas vraiment l’expliquer : “Là-haut (en prison) tu vois pas le dehors, et là t’as l’impression de revivre. Tu te sens plus enfermé, tu te sens libre. C’est pas très facile à décrire, il y a que nous qui connaissons cette sensation.”

 

Après deux condamnations et deux peines exécutées, le jeune homme prend le chemin de la sortie : “Je prends mes affaires, on me fait signer un papier comme quoi j’ai eu une levée d’écrou et comme quoi je suis vraiment libre. On m’ouvre la porte et on me dit “au revoir et ne revenez plus”. Et tu sors et puis voilà c’est la liberté.”

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“J'ai déjà la tête dehors, tous mes sens se rallument, j'srai plus sous peu dans ce caisson, dans cette putain de bulle...c'est mon jour de sortie !”

-Joey Starr

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Cliquez sur la photo pour connaître l'histoire de Frédéric

Une liberté partielle puisque le jeune homme doit se rendre à Alerpi (Accueil logement et réinsertion des personnes isolées), une association qui va l’aider à se réinsérer dans la société. Frédéric est en placement extérieur, il finit donc sa peine hors des murs de la prison. Une chance qui lui permet de vivre sa deuxième sortie différemment pour faire en sorte que cela marche.

Départ d’Écouvres direction Metz pour rejoindre les locaux de l'association. Frédéric a fait un choix, celui d’être encadré jusqu’à ce qu’on lui rende une liberté totale.

 

“Je suis venu d’Écrouves à Metz et puis je me suis rendu directement à Alerpi. La première journée j’ai profité de faire un tour en ville, faire un peu les magasins, faire les courses, ça faisait longtemps. La première semaine c’était bizarre, le temps de se réintégrer. Je ne savais pas où je mettais les pieds, c’était nouveau. Le plus dur c’est qu’à Alerpi on est libre, mais moi j’ai des horaires à respecter. ”

Nathalie Vallet, travailleuse sociale à l’association CASP-Arapej (Association Réflexion Action Prison et Justice) dans le 93, constate que “finir sa peine hors les murs n’est pas facile, notamment par rapport à l’auto-gestion. Dehors les sortants sont leurs propres gardiens.”

 

Présente lors de la journée Prison-Justice organisée chaque année à Paris par le Genepi (association estudiantine de visiteurs de prisons) elle dépeint une réalité bien plus morne que ce que l’on imagine. Tout devient difficile pour une personne sortant de prison. Tout ce qui est simple pour un citoyen lambda peut être un obstacle : ouvrir un compte en banque, faire des courses, prendre les transports en commun, etc. “Parfois les sortants que j’accompagne font toute la ligne de bus ou de métro et ils m’appellent. Ils ne savent même pas où ils sont”, raconte-t-elle.

 

Certains ont même l’impression que tout le monde sait qu’ils sont allés en prison:  “Il faut qu’ils apprennent ou réapprennent les codes d’une norme qu’ils ne connaissent plus ou qu’ils n’ont jamais connu.”

La rupture est  brutale entre le monde carcéral et la société. Pourtant, la loi est très claire sur la question de la réinsertion post-carcérale : dès l’entrée en prison la réinsertion est censée être préparée. 

La peine de prison n’est pas qu’une punition mais également une réintégration de la personne à une société de laquelle il ou elle a été écarté.

 

Toutefois, les chiffres du ministère de la Justice indiquent que “81% des personnes incarcérées exécutent leur peine en prison et en sortent sans aménagement de peine”.

Or ces personnes libérés en sorties sèches sont condamnées à nouveau à hauteur de 63 % dans les cinq ans suivant leur sortie.

 

 

 

Dans le livre Prisons, quel avenir de Jean Bérard et Jean-Marie Delarue, la question de la réinsertion est présentée comme obsolète, et donc à repenser :

 

L’insertion des personnes incarcérées est à réinventer. Elle suppose que soit donnée aux détenus beaucoup d’autonomie dans la gestion de leurs apprentissages, que la prison soit responsable, non plus seulement d’une “conversation” passive des personnes incarcérées, mais de leur devenir après l’exécution de la peine ; que la collectivité publique finance clairement ce que le marché ne peut assurer dans des conditions économiques normales (il en est ainsi du travail en prison); que les familles soient étroitement associées au déroulement de la détention.”

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Les aménagements de peines, sont supposés tendre dans ce sens, afin de faciliter une sortie qui peut être difficile matériellement et psychologiquement. Finir son temps de prison au sein de la société, avec des contraintes mais en n'étant plus exclu doit favoriser la réhabilitation du condamné à la vie de tous les jours. Pour ce faire, le juge d’application des peines décide si la personne peut bénéficier de cet aménagement. 

 

Dans le livre Le droit des détenus-Sécurité ou réinsertion? (sous la direction d’Arnaud Deflou), le rôle du JAP est expliqué clairement : “Tout détenu est par définition un sortant de prison à venir. Le rôle du Juge d’application des peines est de permettre une sortie préparée.”

 

Cette sortie doit être élaborée pour prévenir le cercle vicieux de la récidive, surtout lors de sorties sèches : “Le rapport Warsmann à l’origine de la réforme de 2004, avait pointé la question de la sortie sèche des détenus et le problème de la très grande majorité des détenus libérés sans encadrement. Tout partait du constat que les sorties sèches étaient trop nombreuses. La sortie de prison était pourtant un moment difficile à vivre et la personne libérée sans préparation ni accompagnement risquait de se trouver à nouveau dans un environnement criminogène. Le rapport mettait donc en avant que l’aménagement de la peine permettait la réinsertion du détenu et la lutte contre la récidive.”

 

On note toutefois que les aménagement de peines restent aujourd'hui minoritaires par rapport au nombre total de sorties.

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La prison présente souvent des destinées à leur      point de rupture, à leur carrefour essentiel.”

 

-Philippe Claudel

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J-F.L. (il n'a pas souhaité que son nom apparaisse dans cette enquête), travailleur social en milieu ouvert et auteur d’une thèse sur la sortie du milieu carcéral, remet en question cette affirmation que l’aménagement de la peine favorise la réinsertion et lutte contre la récidive : “Ceux qui ont les aménagements de peines sont ceux qui sont les mieux dotés à l’entrée et à la sortie de la prison, donc si on considère que les aménagements de peines préviennent la récidive, on tronque les chiffres de la récidive. Il faudrait donner l’aménagement de peine à tout le monde pour voir si ça marche.”

 

En effet, pour obtenir un aménagement de peine il faut présenter un dossier solide au juge, comme le souligne le travailleur social : “Il faut avoir un travail, un logement, et le mieux c’est quand même d’avoir un avocat pour vous représenter et pas un commis d’office. Tout ça ça coûte de l’argent, ça suppose d’avoir une situation stable et des appuis à l’extérieur que beaucoup de détenus n’ont pas”.

 

Pour lui, il y a une véritable différence entre quelqu’un qui vient d’un milieu défavorisé et quelqu’un qui a plus de facilités. Notamment depuis l’extérieur (famille présente, logement, association qui vient en aide, argent, travail possible à la sortie).

Lucas est lui aussi un résident d’Alerpi. A 26 ans, il a fait trois séjours en prison, cela fait trois mois qu’il est sorti de la maison d'arrêt de Metz-Queuleu.

 

Il explique qu’il est totalement libre aujourd’hui, dans l’attente de se construire ailleurs, même si il est conscient que passer par l’enceinte de l’association était nécessaire : “J’ai fait la demande pour venir à Alerpi. Je me connais je sais que si je suis libre d’office je peux vite basculer. Alors qu’ici c’est encadré, il y a une éducatrice qui est très humaine, ça m’a vraiment motivé.”

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Cliquez sur la photo pour connaître l'histoire de Lucas

Une chance pour lui de briser le cercle vicieux et l’engrenage de la délinquance :

“Quand je suis sorti la première fois j’ai été calme quelque temps, je pensais que ça allait aller, puis j’ai vu qu’en fréquentant les mêmes personnes c’était un cercle vicieux. À chaque fois je retombais dedans.”   

 

Au delà de cette difficulté à trouver une stabilité, Lucas raconte que sa première sortie a été difficile, surtout au niveau du regard des gens:

“C’était bizarre je me sentais pas à l’aise, j’avais l’impression que les gens me regardaient de travers, comme si c’était marqué sur mon front. Sauf que c’était de la paranoïa, je pense qu’il ne faut pas longtemps pour se remettre dans le bain de la vie de tous les jours, après c’est comme tout, il faut le vouloir.”

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Mais une fois qu’on sort de plusieurs mois, voire années, de prison, que fait-on ? Quelle est la réaction d’un être humain face à cette nouvelle liberté? 

 

Frédéric et Lucas ont vécu chacune de leurs sorties différemment. Ils ont ressenti des peurs disparates face à ce nouveau champ des possibles, peurs que souvent les gens ne comprennent pas ou n’entendent pas. Il y a eu d'autres sentiments, d'autres questionnements. Retour sur ces sensations.  

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Cliquez pour accédez à la vidéo 

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Passer les premières semaines dehors à Alerpi était un choix pour Lucas et Frédéric ainsi que bien d’autres personnes sortant de prison dans la région Grand est.

 

Mais arriver dans cette association fondée en 2007, ne se fait pas par hasard. Il faut envoyer une demande pour pouvoir résider dans l’un des dix studios mis à disposition.

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L'arrivée de Lucas et Frédéric dans l'association : 

La structure de l’association est simple, au fond de la cour à gauche, une salle de vie où bénévoles et résidents se retrouvent. Un matin de permanence Lucas raconte à la bénévole présente qu’il va bientôt déménager, elle a l’air contente pour lui. D’autant plus que la liste d’attente est longue pour pouvoir prétendre à un studio à Alerpi.

 

Ils sont une trentaine de bénévoles présents tous les jours, 24 heures sur 24. Frédéric narre une sortie “escalade” quelques jours auparavant, une façon comme une autre de se vider la tête et l’esprit. Derrière la salle de vie, il y a la cuisine. Les mercredis soirs sont souvent réservés à de grands repas entre résidents et bénévoles. Des moments de convivialité qui eux aussi chassent de l’esprit les problèmes de ces hommes.

Malgré l'existence d'associations comme Alerpi, qui tentent de réhabiliter des sortants de prison à la société, on peut dresser un bilan assez négatif de la réinsertion post-carcérale en France.

 

D’ailleurs, l’association Genepi, qui lutte pour un décloisonnement du système carcéral a pris position sur la réinsertion en s’en détachant totalement. Ainsi, les membres du Genepi portaient fièrement, lors de la journée Prison-justice en décembre 2016, des sweats avec pour message “Nique sa mère la réinsertion”. La citation vient de la chanson La lettre du groupe de rappeurs Lunatic (Ali et Booba), sortie en 2000.

 

 

Les hommes appelés à en juger d'autres devraient avoir fait un stage de deux ou trois mois en prison.”

 

-Marcel Aymé

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De nombreux problèmes sont donc mis en perspectives par les experts de la question carcérale et les sortants de prison. D'abord, les sorties sèches qui favorisent la récidive, la surcharge de travail des SPIP, ces agents de probation et d’insertion qui gèrent de nombreux dossiers mais aussi l’investissement budgétaire mis dans les mesures de réinsertion, qui ne dépasse pas les 1% du budget total injecté dans le système carcéral.

 

Mathieu Oudin, avocat au Barreau de Tarbes et membre de l’association des Avocats pour la défense des droits des détenus explique que le système carcéral est verrouillé dès l’entrée en prison et jusqu’à la sortie: “S'il y a bien un domaine du droit où on n'applique pas la loi, c’est la question carcérale. Le droit est vidé de sa substance, il n’est pas appliqué en tant que tel parce que les juges en ont peur. Il y a un système qui se met en place c’est ce qu’on appelle le populisme pénal.”

 

Il ajoute que même si la loi dispose que “le but de la condamnation est la réinsertion”  les juges préfèrent “rester sur une inertie où ils laissent les gens aller jusqu’au bout de leur peine”. Cela conduit à des sorties sèches, sans accompagnement, et donc cela “ouvre l’école de la récidive”.

 

Les magistrats n’acceptent pas la loi telle qu’elle est écrite selon l’avocat et si c’était le cas “on révolutionnerait la prison”.

Frédéric affirme ne pas avoir vu beaucoup les agents du SPIP en prison, même si désormais il a des rendez-vous réguliers avec eux.

 

 

Lilia Moussa-Esper, déléguée régionale Est du Genepi, explique cette décision et cette prise de position :  “La première position du Genepi en 1981 s’intitulait ‘opposition à la politique gouvernementale en matière de réinsertion’. L’idée c’était de dire que la façon dont les institutions publiques concevaient la réinsertion ne nous convenait pas et à cette époque là on s’inscrivait encore dans des missions de réinsertion, ce que l’on ne fait plus forcément aujourd’hui. Les paroles du groupe Lunatic réaffirment cette position.”

Découvrez l'explication de Lilia

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Chapitre 2 : Se réadapter à la société

Chapitre 1 :

Sortir

Mais après la sortie, il faut également réapprendre à vivre, réapprendre à faire des démarches administratives, réapprendre à apprécier le quotidien.

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Alerpi est une association née en 2007, elle offre un logement à des personnes sortant de détention pour 4 à 6 mois. Chaque année, une vingtaine de résidents sont logés. En 2015, l'association a remporté le Trophée de l'initiative en économie sociale.